
Au premier regard la peinture de Jame Saurel paraît difficile à saisir. On a l’impression d’une œuvre qui elle-même ne vou- drait pas se laisser appréhender. L’économie dans la forme du trait, le faible nombre de couleurs utilisées, souvent les mêmes, la rigueur de la construction peuvent faire paraître abstraite -au sens premier du terme- voir abrupte l’œuvre qui nous est proposée. Sur certaines toiles, on découvre des plans où le véhicule pictural prend des aspects de rugosité volontaire qui ajoute à ce premier sentiment. Comme si l’artiste ne se livrait qu’avec parcimonie alors qu’il s’agit d’extrême pudeur et de grande intériorité.
Pas d’arrangements conviviaux sur la toile, un travail sobre, rigoureux, silencieux qui pourrait paraître au premier abord austère. Rien dans cette peinture de combinatoire ou d’opératif pour « faire du beau » ou pour séduire. Nous sommes ici dans la volonté du dire et dans le véritablement dit, tout le contraire du superficiel, de l’anecdotique, loin de la peinture événement ou happening. Il faut savoir regarder avant de voir et le regard se fixe, s’attache, pénètre plus avant dans la toile pour en saisir tout le contenu et en faire sa fête.



On sait bien qu’en certaines circonstances privilégiées le regard écoute. Les couleurs sourdes, profondes restent toujours chaudes enchâssées dans des charpentes noires qui comme le plomb sertissant le verre à vitrail rehaussent leur luminosité.
Tous les tableaux comportent une ou plusieurs fenêtres carrées ou rectangulaires. Certaines sont occultées par la couleur de l’espace peint dans lequel elles s’inscrivent, comme muettes, vestiges d’un passé, mémoire de ce qui fut ou regret de ce qui aurait pu être. D’autres sont plus perceptibles, d’autres s’affirment omniprésentes. Cette exposition nous donne à voir les portraits de villes soit n’étant jamais nées soit mortes soit des cités à naître ou des métropoles en devenir. Ce qui semblait relever de prime abord d’un propos pessimiste fait bonne part à l’espérance par la présence de ces ouvertures sur la toile qui laissent pénétrer la lumière. Artiste certes, Ethnologue, Géographe, Architecte, Jame Saurel est aussi tout cela en peinture. Une peinture qui à mon expérience n’a pas fini de nous procurer de belles émotions d’amateurs d’Art, de par son contenu et sa plasticité. Et puis parce qu’en plus de médecin et de peintre il est philosophe, je terminerai en citant Bergson : « Il faut un supplément d’âme pour administrer le progrès ». L’œuvre de Jame Saurel nous y aide aussi, le progrès et la vie.
Texte du 22 Octobre 1996







