
Jame SAUREL, le peintre des valeurs. (2021)
Rattacher le travail d’un artiste contemporain à un courant artistique relève d’un exercice hasardeux. L’artiste évolue dans sa quête, son ressenti, son expression, l’absolu abandon du signifiant. En conséquence, la valeur donnée à une oeuvre d’art n’est pas isolée mais scellée à toutes celles qui l’ont précédée, construite, révélée à l’instar d’une filiation.
Quant à la couleur, elle nous livre, par strates, l’étagement des émotions de
l’artiste. Tel Rouge, tel Bleu ne relève pas uniquement de la matière colorée extraite du tube, mais de toutes les nuances qui en seront déclinées, de toutes les valeurs qui lui seront données. Chez Jame SAUREL, nous parlerons davantage de valeurs que de dégradés.
De dégradés il n’y a point ! Comment un dégradé pourrait-il trouver place à l’intérieur d’une peinture de réparation ? Pour Jame SAUREL, la peinture, l’impatience créatrice sous toutes ses formes, est catharsis. Elle éloigne toute forme d’indignation, de fureur ou de fuite face à la férocité de l’existence. C’est à l’intérieur même de la cruauté du déracinement, de la perte que Jame SAUREL – parfois à son insu, laissant place au ça – fauche ses couleurs sur la toile. S’il est indéniable que Jame SAUREL est un peintre de l’abstrait, il n’est cependant pas possible de l’apparenter à Wassily Kandinsky, Alberto Magnelli, Auguste Herbin ou encore Malévitch dont les abstractions sont « construites ». L’anarchie apparente de certaines toiles de Jame SAUREL indique clairement une volonté de tendre vers une lexie complexe et libre. Pour lire, entendre, comprendre l’artiste qu’est Jame SAUREL, il est nécessaire, au contact de ses œuvres, d’accepter de reconnaître sa propre mise en abîme. L’artiste qu’il est ne se suffit pas à peindre ; son propos dépasse cela en entraînant son spectateur à la découverte de son aperception.

Il s’agit bien, chez Jame SAUREL, d’abstraction dans le sens d’une expression directe et non retenue de ses émotions. Mais nous parlerons d’abstraction informelle tant l’ajout de matières diverses – médicales parfois – apporte une somme d’imprévus à la toile, donnant la part belle aux signes plus qu’au propos, du moins en apparence. Nous y reviendrons.
Cette contraction des déchirures vécues éloigne toute forme visible d’une vie normalisée – celle qu’on lui a transmise – au profit de la découverte, de la pluralité, la complexité, l’isolement parfois, la différence avant d’atteindre une forme de liberté.
L’atelier du peintre voit peu la lumière du jour. Il me rappelle en cela Bernard Damiano qui lui peignait – à l’inverse – uniquement à la lumière du jour ayant refusé toute ampoule au plafond. Ce ne sera pas le seul parallèle à relever entre les deux artistes, l’urgence de coucher sur la toile, le combat profond mais discret entre la pulsion de vie et l’exigence de la foi leur sont communs.

Jame SAUREL peint souvent la nuit ou le matin très tôt, à l’heure où nul ne perturbe l’onde de son imaginaire, lové en un clair-obscur rappelant la matrice originelle. Il peint muni de gants, protégeant des mains blessées, crevassées par les agressions répétées du formol utilisé dans sa pratique médicale. Ces gerçures et crevasses marquent la mémoire, la trace de stigmates bien antérieurs à son état de médecin.
Donner la main, prendre la main, montrer le chemin …
Stigmates très présents à l’intérieur de son œuvre picturale comme une appartenance voulue au sens de la douleur. Stigmates miraculeux, apparaissant sous le marouflage de certaines œuvres, délivrant de l’impuissance à forcer le destin, à le dérailler de son cycle inéluctable. Si les premières années (1994-1998) de peinture de Jame SAUREL hurlent essentiellement au travers du Rouge et du Noir un désespoir à peine feint, la lumière, tout juste visible, pointe à l’intérieur de chaque toile comme un cri jeté à l’éternité.
Recherche de l’ordre dans le désordre. Les tableaux sont encadrés – ils ne le seront plus ensuite – contraignant la ou les matières à demeurer au centre, en cohésion désordonnées mais cohésion tout de même, comme un périmètre de sécurité que l’on offre aux siens et à sa propre existence.
Ces années le rapprochent, par la forme picturale, de Jean-Paul RIOPELLE, Joan MITCHELL ou encore Alfred MANESSIER.

Les années 2000-2002, durant lesquelles James SAUREL expérimente l’encre sur papier, étageront un entremêlement de lignes noires, épaisses, non ordonnées, zébrant l’espace, couvrant le peu de couleur, de joie présentes en fond. Sensation d’enfermement, d’isolement. Proximité avec le travail de Hans HARTUNG.
2009, la lumière perce. Le Rouge se décline en orange, l’horizon laisse passer la lumière, le feu qui s’insinue, purificateur.
2010, année duelle mais généreuse. Jame SAUREL renoue avec la forme structurée, les couleurs opposées à l’intérieur desquelles il glisse, au travers de collages, certains personnages plus ou moins masqués ou livrés. Une femme à la fenêtre. Le marouflage prend une large place mêlant matière et matières. La croix devient de plus en plus présente. L’on devine quelques stèles.

Deux personnages dansent, tournant le dos au gris de la toile. Leurs genoux cherchent la terre ou plutôt la quittent pour s’étirer, s’élever vers la lumière, un rouge intensément lumineux.
La croix toujours présente soulignant l’attachement à la foi mais qui laisse libre cours à la vie, deux branches de végétaux rougis débordent la croix en une insolence construite. Et puis … en bas de tableau, il y a ce drapeau français, Bleu, Blanc, Rouge, dont le rouge s’est dénaturé, reprenant le bistre de l’étendard du Dey d’Alger. Mémoire enfouie …
2012 voit apparaître de nouveau un personnage féminin à sa fenêtre. Fenêtre grillagée cette fois … Toile coupée en deux en son centre. A droite la contrainte, l’obligation, l’inéluctable. A Gauche, la violence du Rouge qui crie son besoin de brûler. Tableau rouge décliné en valeurs douces, la croix toujours présente, en son centre la serrure, la clef, l’ouverture après le compris, l’intégré, le vécu.
2015 – Jame SAUREL s’affranchit des formes au risque d’offrir partiellement à son spectateur en ne comblant pas l’espace. Liberté ! Et je pense à Antoni Tàpies ….
2016-2017 Les ocres et le marron dominent laissant aussi une place au gris, au bleu et parfois au jaune. La palette se modifie.La couleur recouvre partiellement d’anciens documents notariés, morcellement de vies inconnues. Boire à la source que l’on a perdu, l’imaginer, la recréer.Figer des vies absentes ou tues en une éternité interdisant d’être simplement relégué à une simple feuille de papier, périssable, oubliée. Des signatures sur les contrats, des sceaux qui légitiment. Stigmates encore qui autorisent à exister. Puis … les formes géométriques reviennent en couleurs plus vives, plus libres.



Enfin … Enfin, l’apparition des masques de Jame SAUREL, juchés sur une tige métallique, frêle support à une tête bien posée, équilibrée qui livre en une coordonnée plurielle un état d’âme décliné. Masque pour rire, s’amuser, se déguiser, s’extraire, se soustraire peut-être mais jamais dissimuler. Masques dansants, joyeux ou obsédants livrant une vérité simple dans sa nudité.Masques offerts et pénétrants que l’on ne peut oublier.
Jame SAUREL est là, bien présent, dans un art presque brut qui lui ressemble, tel qu’il l’aime. Un art enfin libéré.
Annick MAELLE Photographe, Plasticienne, Auteur (2021)





